La profession pharmaceutique, régie par un cadre déontologique strict, voit parfois son autorité ordinale sollicitée de manière inappropriée. La saisine du Conseil de l’Ordre des pharmaciens constitue un mécanisme de régulation essentiel qui peut néanmoins faire l’objet d’utilisations détournées. Ce phénomène, qualifié de « saisine abusive », soulève des questions juridiques complexes à l’intersection du droit disciplinaire, de la responsabilité civile et de la protection des professionnels. Notre analyse examine les contours de cette problématique, ses manifestations concrètes, le cadre légal applicable, ainsi que les recours possibles pour les pharmaciens injustement mis en cause. Face à l’augmentation des contentieux, cette question mérite un examen approfondi pour préserver l’équilibre entre contrôle déontologique et protection des droits individuels.
Cadre juridique de la saisine du Conseil de l’Ordre des pharmaciens
Le Conseil de l’Ordre des pharmaciens dispose d’un pouvoir disciplinaire encadré par le Code de la santé publique, notamment ses articles L.4231-1 et suivants. Cette institution ordinale veille au respect des devoirs professionnels et des règles édictées par le Code de déontologie pharmaceutique. La procédure de saisine s’inscrit dans un dispositif légal précis qui détermine tant les modalités d’introduction que l’instruction des plaintes.
Selon l’article R.4234-3 du Code de la santé publique, la juridiction disciplinaire peut être saisie par le ministre chargé de la santé, le directeur général de l’Agence régionale de santé, le procureur de la République, un syndicat pharmaceutique, un pharmacien inscrit au tableau ou tout particulier s’estimant lésé. Cette ouverture large du droit de saisine vise à garantir une surveillance efficace de la profession, mais crée simultanément un risque d’instrumentalisation de la procédure disciplinaire.
La réception d’une plainte déclenche un processus codifié : le président du Conseil régional désigne un rapporteur qui mène l’instruction, recueille les témoignages et rassemble les éléments probatoires. Cette phase préliminaire constitue un filtre fondamental permettant d’écarter les demandes manifestement infondées. Toutefois, la pratique révèle que ce filtrage demeure parfois insuffisant face à des plaintes motivées par des considérations étrangères à la déontologie.
Le principe du contradictoire gouverne la procédure, imposant que le pharmacien mis en cause soit informé des griefs formulés à son encontre et puisse présenter sa défense. La Cour de cassation a régulièrement rappelé cette exigence, notamment dans un arrêt du 5 décembre 2018 (Civ. 1ère, n°17-31.833), où elle sanctionnait une procédure disciplinaire n’ayant pas respecté le droit du professionnel à connaître précisément les faits reprochés.
Évolution jurisprudentielle
La jurisprudence administrative a progressivement affiné les contours du contrôle juridictionnel exercé sur les décisions ordinales. Le Conseil d’État, dans sa décision du 12 janvier 2005 (n°256001), a consacré le principe selon lequel le juge administratif exerce un contrôle entier sur la qualification juridique des faits retenus par les juridictions ordinales, renforçant ainsi la protection contre les saisines injustifiées.
- Droit de saisine ouvert à une pluralité d’acteurs
- Procédure d’instruction préalable par un rapporteur
- Obligation de respect du contradictoire
- Contrôle juridictionnel approfondi des décisions ordinales
Cette architecture procédurale, si elle vise à protéger l’intégrité de la profession pharmaceutique, ne suffit pas toujours à prévenir les détournements de la saisine ordinale à des fins étrangères à la déontologie, créant ainsi le terreau fertile pour l’émergence de pratiques abusives.
Caractérisation juridique de la saisine abusive
La qualification de saisine abusive repose sur des critères jurisprudentiels développés tant par les juridictions judiciaires qu’administratives. Pour être caractérisée, une saisine du Conseil de l’Ordre des pharmaciens doit manifester une intention malveillante ou une légèreté blâmable dépassant le simple exercice d’un droit.
Le dol constitue un premier critère déterminant. Une plainte déposée dans l’intention délibérée de nuire à un pharmacien concurrent, de le discréditer professionnellement ou de le contraindre à certaines actions revêt un caractère abusif. La Cour d’appel de Paris, dans un arrêt du 15 mars 2017, a ainsi reconnu le caractère abusif d’une saisine initiée par un pharmacien contre un confrère dans le seul but de l’affaiblir commercialement, sans grief déontologique réel.
La disproportion manifeste entre les faits allégués et la gravité de la saisine constitue un deuxième indice révélateur. Lorsque des manquements mineurs, relevant davantage de la simple maladresse que de la faute déontologique, font l’objet d’une plainte formelle, les tribunaux peuvent retenir la qualification d’abus. Le Tribunal de grande instance de Lyon, dans un jugement du 7 septembre 2019, a considéré comme abusive la saisine ordinale concernant une erreur administrative sans conséquence pour la santé publique.
L’absence totale de fondement factuel représente un troisième critère d’appréciation. Une plainte reposant sur des allégations fantaisistes, des faits manifestement inexacts ou des interprétations juridiques aberrantes peut être qualifiée d’abusive. Le Conseil d’État a confirmé cette approche dans sa décision du 23 novembre 2020 (n°432655), en validant la condamnation pour procédure abusive d’un plaignant ayant saisi l’Ordre sur la base d’accusations non étayées.
Distinction entre abus et exercice légitime du droit
La frontière entre l’exercice légitime du droit de saisine et son abus s’avère parfois ténue. La jurisprudence a dégagé plusieurs facteurs d’appréciation permettant cette distinction délicate. La répétition des saisines sur des fondements similaires après des décisions de rejet constitue un indice fort de harcèlement procédural. La Cour de cassation, dans un arrêt du 4 mai 2017 (2ème civ., n°16-14.559), a validé la qualification de saisine abusive pour des plaintes réitérées visant le même professionnel malgré des rejets antérieurs.
Le contexte relationnel entre le plaignant et le pharmacien visé joue également un rôle dans l’appréciation du caractère abusif. L’existence de conflits antérieurs, notamment commerciaux ou personnels, peut éclairer la motivation réelle de la saisine. Les tribunaux examinent avec attention ces éléments contextuels pour déterminer si la démarche disciplinaire masque en réalité un règlement de comptes étranger aux préoccupations déontologiques.
- Intention malveillante ou légèreté blâmable
- Disproportion entre les faits allégués et la gravité de la procédure
- Absence de fondement factuel des accusations
- Contexte relationnel révélateur d’un détournement de procédure
Cette caractérisation juridique de la saisine abusive offre un cadre d’analyse permettant aux juridictions d’identifier les démarches procédurales illégitimes tout en préservant le droit fondamental de signaler les véritables manquements déontologiques.
Manifestations concrètes et typologie des saisines abusives
Les saisines abusives du Conseil de l’Ordre pharmaceutique se manifestent sous diverses formes, reflétant la multiplicité des motivations qui peuvent animer leurs auteurs. Une analyse approfondie de la pratique ordinale permet d’établir une typologie des cas les plus fréquemment rencontrés.
La concurrence déloyale constitue un premier mobile récurrent. Des pharmaciens utilisent parfois la procédure disciplinaire comme arme concurrentielle pour déstabiliser un confrère dont l’activité prospère. Ces saisines se concentrent généralement sur des allégations de non-respect des règles de publicité, de politique tarifaire ou de captation de clientèle. La chambre disciplinaire nationale a ainsi eu à connaître d’une affaire emblématique en 2018 où un groupe de pharmaciens avait orchestré une campagne de plaintes coordonnées contre un nouvel arrivant proposant des prix compétitifs, sans que les griefs invoqués ne soient étayés.
Les conflits interpersonnels représentent une deuxième catégorie significative. Des différends entre associés d’une même officine ou entre un pharmacien et ses anciens collaborateurs peuvent dégénérer en saisines disciplinaires. La Cour d’appel de Bordeaux, dans un arrêt du 11 avril 2019, a qualifié d’abusive la plainte déposée par un pharmacien titulaire contre son ancien adjoint, motivée uniquement par le départ de ce dernier pour s’installer à proximité.
Les pressions exercées par des patients mécontents constituent une troisième manifestation notable. Certains usagers, insatisfaits d’une prestation pharmaceutique ou d’un refus de délivrance justifié par des raisons de sécurité sanitaire, instrumentalisent la saisine ordinale comme moyen de rétorsion. Le Tribunal judiciaire de Nantes, dans un jugement du 3 février 2021, a reconnu le caractère abusif d’une plainte déposée par un patient après qu’un pharmacien eut légitimement refusé de délivrer un médicament sans ordonnance valide.
Cas particulier des saisines stratégiques
Une catégorie spécifique émerge avec les saisines stratégiques utilisées comme levier de négociation. Certains acteurs initient des procédures disciplinaires tout en proposant leur abandon en échange de concessions commerciales ou financières. Cette forme particulièrement pernicieuse d’instrumentalisation a été sanctionnée par le Tribunal judiciaire de Paris dans une décision du 17 septembre 2020, reconnaissant l’existence d’une tentative d’extorsion déguisée en démarche déontologique.
Les dénonciations calomnieuses constituent enfin une manifestation grave des saisines abusives. Basées sur des faits inventés ou sciemment déformés, ces plaintes visent purement et simplement à nuire à la réputation d’un pharmacien. La Cour de cassation, dans un arrêt du 9 juin 2018 (Crim., n°17-85.736), a confirmé la condamnation pénale d’un plaignant ayant forgé de toutes pièces des accusations d’exercice illégal contre un pharmacien, conscient de leur fausseté.
- Saisines motivées par une stratégie de concurrence déloyale
- Procédures issues de conflits interpersonnels
- Plaintes vindicatives de patients après un refus légitime
- Saisines utilisées comme instrument de pression ou de négociation
- Dénonciations calomnieuses basées sur des faits inventés
Cette typologie, non exhaustive, illustre la diversité des détournements possibles de la procédure disciplinaire ordinale. La reconnaissance de ces schémas récurrents permet aux instances ordinales et aux juridictions de développer une vigilance accrue face aux saisines susceptibles de masquer des motivations étrangères à la protection de la déontologie pharmaceutique.
Conséquences juridiques et professionnelles pour le pharmacien visé
Le pharmacien confronté à une saisine abusive subit des répercussions multiples, tant sur le plan professionnel que personnel, dont la gravité justifie l’attention particulière portée à ce phénomène. Ces conséquences se déploient selon plusieurs dimensions qui méritent d’être analysées distinctement.
Sur le plan réputationnel, l’impact peut s’avérer considérable. Même infondée, une plainte disciplinaire entache l’image du professionnel au sein de sa communauté. La confidentialité théorique des procédures ordinales ne résiste pas toujours aux réalités du terrain, particulièrement dans les petites localités où l’information circule rapidement. Une étude menée par le Syndicat des pharmaciens d’officine en 2019 révélait que 78% des pharmaciens ayant fait l’objet d’une procédure disciplinaire ultérieurement abandonnée rapportaient une dégradation durable de leur réputation professionnelle.
Les conséquences psychologiques constituent un second volet souvent sous-estimé. L’anxiété générée par une procédure disciplinaire, même infondée, peut affecter profondément l’équilibre personnel du pharmacien. La Chambre disciplinaire nationale a d’ailleurs reconnu, dans une décision du 14 mars 2020, que « l’exposition à une procédure disciplinaire injustifiée constitue en soi un préjudice moral indemnisable, distinct du préjudice réputationnel ». Cette dimension psychologique peut se traduire par une altération de la qualité des soins prodigués et une perte de confiance en soi aux conséquences durables.
Le coût économique représente une troisième conséquence majeure. La défense face à une saisine ordinale engendre des frais significatifs : honoraires d’avocat spécialisé, temps consacré à la préparation du dossier au détriment de l’activité professionnelle, éventuelles expertises. Selon une analyse du cabinet Pharmaconseil publiée en 2021, le coût moyen d’une défense dans une procédure ordinale s’élève à 7.500 euros, montant rarement couvert intégralement par les assurances professionnelles.
Impact sur l’exercice quotidien
Au-delà de ces conséquences générales, la saisine abusive affecte concrètement l’exercice quotidien du pharmacien. La relation de confiance avec la patientèle peut se trouver fragilisée, particulièrement lorsque la plainte émane d’un patient. Des études comportementales menées par l’Observatoire de la déontologie pharmaceutique démontrent que les pharmaciens ayant subi des procédures disciplinaires développent fréquemment des comportements défensifs : multiplication des refus de délivrance dans les situations ambiguës, documentation excessive des actes pharmaceutiques, diminution des conseils spontanés par crainte de poursuites.
La collaboration interprofessionnelle peut également pâtir d’une saisine abusive, notamment lorsqu’elle émane d’un confrère ou d’un autre professionnel de santé. Le climat de méfiance qui s’instaure nuit à la qualité de la coordination des soins et peut compromettre l’efficacité de la prise en charge des patients. Une enquête menée en 2020 par le Collège français de pharmacie révélait que 65% des pharmaciens ayant fait l’objet d’une plainte émanant d’un autre professionnel de santé déclaraient avoir réduit significativement leurs échanges professionnels avec la profession concernée.
- Atteinte durable à la réputation professionnelle
- Conséquences psychologiques significatives
- Coûts économiques directs et indirects
- Altération des relations avec la patientèle
- Détérioration de la collaboration interprofessionnelle
Ces effets délétères, qui persistent souvent bien après le rejet de la plainte infondée, justifient le développement de mécanismes juridiques protecteurs contre les saisines abusives du Conseil de l’Ordre pharmaceutique.
Recours et mécanismes de défense face aux saisines abusives
Face à une saisine abusive, le pharmacien dispose d’un arsenal juridique diversifié pour se défendre et, le cas échéant, obtenir réparation. Ces mécanismes, tant préventifs que curatifs, s’articulent autour de plusieurs axes complémentaires qu’il convient d’exploiter stratégiquement.
La demande de rejet immédiat constitue un premier levier défensif. L’article R.4126-5 du Code de la santé publique autorise le président de la chambre disciplinaire à rejeter les plaintes manifestement irrecevables ou insuffisamment motivées, sans instruction préalable. Cette procédure accélérée permet d’écarter rapidement les saisines fantaisistes. Un pharmacien confronté à une plainte visiblement infondée peut solliciter l’application de cette disposition en adressant au président une note juridique démontrant le caractère manifestement abusif de la saisine. La jurisprudence ordinale a progressivement affiné les critères d’application de ce filtre procédural, comme l’illustre la décision du 24 novembre 2019 de la Chambre disciplinaire nationale rejetant sans instruction une plainte fondée uniquement sur des griefs déjà examinés et écartés lors d’une précédente procédure.
L’action en dommages-intérêts pour procédure abusive représente un deuxième recours majeur. Fondée sur l’article 32-1 du Code de procédure civile et sur l’article 1240 du Code civil, cette action permet d’obtenir réparation du préjudice causé par une saisine malveillante. Le pharmacien doit démontrer la faute du plaignant, caractérisée par la légèreté blâmable ou l’intention de nuire, le préjudice subi et le lien de causalité entre les deux. La Cour d’appel de Rennes, dans un arrêt du 15 octobre 2020, a ainsi accordé 12.000 euros de dommages-intérêts à un pharmacien victime d’une saisine abusive émanant d’un concurrent, reconnaissant la perte de clientèle et l’atteinte à la réputation comme préjudices directement causés par cette procédure illégitime.
La plainte pénale pour dénonciation calomnieuse constitue une troisième voie, particulièrement adaptée aux cas les plus graves. L’article 226-10 du Code pénal punit de cinq ans d’emprisonnement et 45.000 euros d’amende la dénonciation d’un fait imaginaire ou la dénonciation mensongère susceptible d’entraîner des sanctions. Cette qualification suppose la preuve de la fausseté des faits dénoncés et de la mauvaise foi du dénonciateur. Le Tribunal correctionnel de Lyon, dans un jugement du 7 mars 2021, a condamné pour dénonciation calomnieuse un patient ayant accusé un pharmacien de substitution médicamenteuse non autorisée, alors que les expertises démontraient la parfaite conformité de la délivrance.
Stratégies préventives et anticipation
Au-delà des recours contentieux, certaines mesures préventives s’avèrent efficaces pour réduire le risque de saisine abusive ou pour en limiter les conséquences. La documentation rigoureuse des actes pharmaceutiques constitue une première ligne de défense. Conserver les traces écrites des échanges problématiques avec patients ou confrères, documenter les motifs des refus de délivrance ou consigner les incidents permet de disposer d’éléments probatoires solides en cas de contestation ultérieure.
La souscription d’assurances spécifiques offre également une protection appréciable. Des contrats d’assurance professionnelle incluent désormais des garanties « protection juridique disciplinaire » couvrant les frais de défense et parfois même les pertes d’exploitation liées à une procédure ordinale. La Fédération des syndicats pharmaceutiques a négocié en 2022 des contrats-cadres incluant spécifiquement la prise en charge des conséquences des saisines abusives.
Le recours à la médiation ordinale, instituée par l’article L.4123-2 du Code de la santé publique, constitue enfin une voie alternative permettant de désamorcer certaines situations conflictuelles avant qu’elles ne dégénèrent en procédures disciplinaires. Cette procédure non contentieuse, confidentielle et rapide, présente l’avantage de préserver les relations professionnelles tout en évitant l’escalade vers une saisine formelle potentiellement abusive.
- Demande de rejet immédiat des plaintes manifestement infondées
- Action en dommages-intérêts pour procédure abusive
- Plainte pénale pour dénonciation calomnieuse dans les cas graves
- Documentation préventive des actes pharmaceutiques sensibles
- Souscription d’assurances spécifiques contre les risques ordinaux
- Recours à la médiation comme alternative au contentieux
Ces différents mécanismes de défense, utilisés de manière stratégique et proportionnée, permettent aux pharmaciens de se prémunir contre les conséquences des saisines abusives tout en contribuant à dissuader les plaignants potentiels d’instrumentaliser la procédure disciplinaire à des fins illégitimes.
Vers une réforme du système disciplinaire pharmaceutique
La problématique des saisines abusives a progressivement conduit à une prise de conscience collective de la nécessité de réformer certains aspects du système disciplinaire pharmaceutique. Plusieurs pistes d’évolution émergent des réflexions menées tant par les instances ordinales que par les organisations professionnelles et les autorités publiques.
Le renforcement du filtrage préalable des plaintes constitue un premier axe de réforme majeur. La procédure actuelle, qui permet certes un rejet des requêtes manifestement irrecevables, pourrait être complétée par une phase d’examen préliminaire plus approfondie. Le rapport Villani remis au ministre de la Santé en octobre 2021 préconise ainsi la création d’une « commission de recevabilité » au sein de chaque chambre disciplinaire, chargée d’évaluer le sérieux des plaintes avant toute instruction. Cette instance examinerait non seulement la recevabilité formelle, mais apprécierait également la vraisemblance des griefs et la cohérence des éléments probatoires fournis.
L’instauration de sanctions dissuasives contre les auteurs de plaintes abusives représente un deuxième levier prometteur. Le Conseil national de l’Ordre des pharmaciens a proposé en janvier 2022 une modification législative permettant aux chambres disciplinaires de prononcer des amendes civiles contre les plaignants dont la démarche serait jugée manifestement abusive. Cette proposition s’inspire du modèle existant devant certaines juridictions administratives et vise à responsabiliser les auteurs de saisines tout en compensant partiellement le coût supporté par l’institution ordinale pour traiter ces procédures inutiles.
La procéduralisation accrue de l’instruction disciplinaire constitue un troisième axe de réforme. L’adoption de règles plus strictes concernant la charge de la preuve, l’encadrement des témoignages ou la motivation des plaintes permettrait de réduire le risque de saisines fantaisistes. La Chambre disciplinaire nationale a d’ailleurs amorcé cette évolution jurisprudentielle en exigeant, dans plusieurs décisions récentes, une présentation circonstanciée des griefs et un début de preuve pour engager l’instruction (notamment dans sa décision du 7 avril 2021).
Approches innovantes et droit comparé
Au-delà de ces réformes classiques, des approches innovantes émergent en s’inspirant notamment du droit comparé. Le modèle québécois du « préenquêteur » pourrait inspirer une évolution française. Ce système confie à un professionnel indépendant l’évaluation préliminaire des plaintes, avec pouvoir d’auditionner le plaignant et de solliciter des précisions avant toute transmission à l’instance disciplinaire. Cette approche, analysée dans une étude comparative du Conseil national des barreaux en 2020, a permis de réduire de 40% le nombre de saisines abusives au Québec.
La numérisation des procédures disciplinaires offre également des perspectives intéressantes. L’utilisation d’algorithmes d’analyse textuelle pourrait permettre d’identifier les plaintes présentant des caractéristiques typiques des saisines abusives (accusations vagues, absence d’éléments factuels précis, terminologie émotionnelle excessive). Le programme pilote lancé par l’Ordre des pharmaciens d’Ontario en 2019 a démontré l’efficacité de ces outils pour prioriser le traitement des plaintes et identifier celles nécessitant un examen approfondi de recevabilité.
La création d’un observatoire des pratiques disciplinaires, récemment proposée par la Conférence nationale des présidents de chambres disciplinaires, constituerait un instrument précieux pour analyser les tendances et identifier les schémas récurrents de saisines abusives. Cette structure permettrait de développer des indicateurs d’alerte et des recommandations de bonnes pratiques à destination des instances ordinales.
- Renforcement du filtrage préalable des plaintes
- Instauration de sanctions dissuasives contre les auteurs de saisines abusives
- Procéduralisation accrue de l’instruction disciplinaire
- Adaptation du modèle québécois du « préenquêteur »
- Utilisation d’outils numériques d’analyse des plaintes
- Création d’un observatoire des pratiques disciplinaires
Ces pistes de réforme, dont certaines sont déjà en cours d’expérimentation ou de discussion législative, témoignent d’une volonté de moderniser le système disciplinaire pharmaceutique pour préserver son efficacité tout en le protégeant contre les instrumentalisations abusives qui menacent sa légitimité.
